vendredi 28 février 2014

Les visitandines



Un goût simple, les visitandines. Ses petites barquettes moulées corolle ne font plus la une. C’est pourtant bon les visitandines. C’est bon jusqu’au cœur. Je les aimais tant chez Alice, moins chez Lucienne, c’était toutefois les mêmes, version miniatures mais je n’en faisais qu’une bouchée alors. Faut dire que sans visitandines, on aurait eu peut de choses à se dire, jambes croisées chez l’une ou chez l’autre, autour de la nappe à carreaux. Les casseroles alu bec verseur faisaient la conversation aussi sur la cuisinière à gaz. Querelles de bonhommes, de guerres lasses, les visitandines nous réconciliaient de tout et de rien. On parlait jardin, épiscopats, Rina Ketty dans le phono. ‘J’attendrais ton retour’ débordait du pavillon sans mousser et la musique scindée au temps, coulait dans nos oreilles encore abasourdies par les sirènes. .

        Nos corps sans hommes souffraient de plaisir, que n’aurait-on donné pour boire une heure d’amour entre deux couvre feux. Que n’aurait-on donné afin d’un bas couture de plus pour nos jambes. Nos oreillers puaient la solitude et une naphtaline quotidienne amidonnait nos jours. Chez Alice, les visitandines étaient toujours présentées dans des assiettes de Giens à bord dorée. Dévoilant ainsi leur beurre, elles s’y prêtaient bien, et c’est avec délicatesse que, je les saisissais entre le pouce et l’index avant d’y fondre mes papilles. Quand enfin, il ne restais plus que quelques miettes au fond de l’assiette, basculant le dos à la chaise, on jaugeait pour finalement  mettre toujours la même note.  

Extrait de " Bleu blanc, rouge" 
Laurette Petit Georges

dimanche 8 décembre 2013

M. Personne





Si j’étais maître d’école
Il y aurait des oiseaux dans la classe
Il y aurait des soleils de toutes les couleurs
Accrochés aux cheveux des filles

Si j’étais maître d’école
Il y aurait des sourires dans la classe
Il y aurait de jolies notes enchantées
Balancées au gré des journées

Si j’étais maître d’école
Il y aurait des fontaines dans la classe
Il y aurait des bons points magiques
Distribués à la volée

Si j’étais maître d’école
Il aurait des fourmis dans la classe
Il y aurait des noisettes craquantes
Mangées bien volontiers

Mais voilà

 Je ne suis pas maître d’école
Je suis juste une personne
Je suis juste personne 
   


Crescendo




   Un, deux, trois,
L’enfant est assis
Face au tableau
Qu’il ne trouve pas rigolo

Alors il regarde tout en haut
Il regarde son stylo

Quatre, cinq, six,
L’enfant est parti
Face au tableau
         Qu’il ne trouvait pas bien beau

 Alors les poutres se déchaînent
Pour devenir forêt
l’encre est océan
il y plonge dedans

Sept, huit, neuf,
L’enfant est ici
Face au tableau
Qu’il trouverai bien plus beau
Si il était rigolo
                                                   LPG

jeudi 31 janvier 2013

Rue Mouftard




                                       Elle pleure la siphonnée du huitième
Elle pleure son heure énième

Front collé à la vitre unique

Elle boit son Paname onirique



Et sa tête tourne comme un manège pure sang

Carrousel trouble aux reflets d’argent

                          Réfléchissant la rue marchande criarde

                           Aux passants débordés aux filles musardes



       Putain de vie chagrine mon heure

    Se dit-elle à toute heure



   Et les autos paniques glissent sur la chaussée

      Aux pavés anthracite tout mouillés

                       Et les chevaux galopent sur le toit aux chats

Miaulant griffant à tour de bras



Putain de vie chagrine mon heure

     Se dit-elle à toute heure



Et Paris se moque se mouche dans la vitre 
Dans la vitre unique


Laurette

01/06/04

dimanche 20 janvier 2013

Le fil



Il y avait des lettres. Non ! C’était d’abord des chiffres. Des chiffres et puis des lettres. Un tableau. Un tableau dans une télé posée sur une table à roulettes. Une table à roulettes plastique bordeaux, télé dessus, cactus dessous. Et puis un napperon de dentelle. Non ! pas un napperon de dentelle.  « Le » napperon de dentelle, celui qui pend encore dans le vide. Pend encore dans le gris. Le gris de la couleur du temps qui passe.  Qui passe dans l’horloge,  dans le crochet qui s’agite autour du fil. Qui fait des rosaces. Des rosaces. Des rosaces. Des doubles, des triples brides, des chaînettes. Ça s’affaire rudement. Y’a à faire dans les carrés, et puis ce souffle de la bouche. Ce souffle entre les dents serrées. Le thé brûle la tasse, la langue. Des mailles à l'envers. Envers. Maille à l’endroit. Endroit. Le jersey sur les genoux attend son tour. Un chat sous la chaise, pelote dansant sous la griffe. Soudain la buée sur les demi-lune appelle le mouchoir. Pincement de narines entre deux lettres. Les yeux dans la télé furètent l’horizon du plateau, le crochet s’évanouit un instant. Six lettres. Jingle.