“ Chez Gérard ” on mangeait de la tête de
veau à vous ravigoter les jours de déprime. Des saucisses lentilles meilleures
que celles d’en face et de vraies frites. Sur la desserte, les Tatin bombaient
leurs pommes caramélisées et les îles flottantes s’agenouillaient devant le
fondant au chocolat. Situé à l’angle de la rue Baudin et coiffé d’un auvent du
même rouge que la marque de bière élue dans les demi des gars, le café se
fondait dans les murs des masses populaires du quartier. On aurait pu l’appeler
“ Le terminus ”. Juste derrière, la Seine s’évanouissait dans
les bras des bateliers, le métro finissait sa course “ Pont de Levallois ”.
Les clients sont arrivés d’un coup. Ont envahi le
moindre espace. Les estomacs sont dans les talons. Certains attendent dehors en
file indienne en sirotant l’apéro, guettent les places qui se libèrent,
s’installent et gueulent lorsqu’ils attendent un peu trop. Des habitués filent
un coup de main au comptoir. Sur la planche de bois, les jambons beurre
cornichons jouxtent les rosettes de Lyon tranchées fines. La machine à jambon
fume, il ne faut pas y laisser les doigts. De toute façon, le doigt beurre
cornichons aurait peu de succès, même dans le meilleur des pains.
“ Mettez le talon ! rabâche madame Ginette
à chaque coup de feu, avec la lame, il ne faut pas rigoler ! ”
Pendant qu’incisives et molaires s’activaient,
Marcel, penchait sur le Parisien à la recherche de mots à caser dans une petite
grille ridiculement coriace à boucher. Pas gênant non plus les formicas pour
Marcel ; du moment qu’il avait son Ricard-glaçons-eau et une omelette
baveuse sous le nez qu’il arrosait d’un filet de vinaigre.
Pour un vieil homme à longues mèches grises, Marcel
était plutôt beau garçon. Un beau garçon désespérément seul portant
régulièrement une chemise blanche, un pantalon repassé dans les plis et une
paire de chaussures noires à lacets. Marcel ne courait pas après le travail. Le
travail ne courait pas non plus après Marcel. C’était comme ça., on lui avait
toujours dit nez au vent mon petit gars, regarde à gauche, puis à droite
et traverse la vie sans relever la tête, tu verras, elle est belle et elle dure
longtemps. Alors il avait choisi le chômage partiellement total et une petite
piaule d’hôtel sans ascenseur avec toilettes sur le palier. Lit, table, chaise,
transistor, rasoir électrique, petite glace, cuvette.. Soupe en sachets, pastis,
camembert, et pince à tiercé.
LPG (Extrait 'des formicas')
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire